Une dizaine de pays africains situés le long de la côte Atlantique s’est réveillée, le 14 mars 2024 noyautés par une panne généralisée d’internet. Du Liberia jusqu’en Afrique du sud, tous les systèmes économiques et bancaires étaient frappés d’incapacité opérationnelle.
Ce jour-là, la Côte d’Ivoire est le pays le plus touché : 4 câbles sous-marins sont sectionnés au même moment. La fourniture d’internet est diffusée par une myriade de câbles sous-marins appartenant à des consortiums étrangers. Ils se dressent hors de contrôle de la gouvernance de l’ensemble des pays concernés par les récentes perturbations. Sous dépendance des aléas techniques et climatiques, les États réfléchissent à trouver une compétence ou une influence plus forte.
Internet : on a tout misé sur les câbles sous-marins
Aujourd’hui, deux mois après ce blackout, on pourrait penser que la crise est derrière nous. La fourniture d’internet étant rétablie. Et les opérations économiques ayant repris avec fluidité. Mais, nuance Kanga Roger, ingénieur télécoms, « la crise est certes derrière nous, mais elle n’est pas loin derrière nous ». Du moins si « on ne repense pas la stratégie de continuité du trafic internet ». C’est que, selon lui, depuis toujours, les opérateurs télécoms et les fournisseurs d’accès internet ont pensé que les dispositions techniques et technologiques prises pour assurer la fourniture de leurs services internet étaient suffisantes.
Ces dispositions consistaient, pour eux, à se connecter à 2, 3 voire 4 câbles sous-marins. En effet, la redondance de l’infrastructure internet est assurée par plusieurs câbles sous-marins qui débouchent au Hub de Londres ou du Portugal. Il existe une ceinture autour de l’Afrique. Malgré ces dispositions, les évènements du 14 mars 2024 ont montré que nul n’est à l’abri d’une panne générale dont l’origine peut être humaine (sabotage), naturelle (accidents naturels et climatiques (ouragans, glissements de terrain, tempêtes, déplacement de la plaque tectonique). « Et personne n’est préparé à faire face à ce genre de situations », constate Kanga Roger.
La redondance des câbles ne garantit pas la sécurité d’internet
Près de 99 % du trafic mondial internet transite par ce réseau de plus de 420 câbles sous-marins. L’extrême concentration géographique de ces câbles à leur point d’atterrissement, les rend vulnérables. D’ailleurs, on recense en moyenne, chaque année, plus d’une centaine de ruptures de câbles sous-marins, généralement causées par des bateaux de pêche traînant les ancres. Pour le présent cas, c’est une situation inédite indépendante des câblots opérateurs tels que WACS, SAT-3, ACE et Main-One. La question qui se pose désormais, c’est comment prévenir ce type d’incident. « L’échec est la voie du succès », écrit un grand penseur des siècles passés. Mais avant, il est impératif de tirer les leçons de cet échec.
La principale étant que « les aléas climatiques et l’instabilité géostratégie ne garantissent pas à 100 % la disponibilité d’internet via les câbles sous-marins », affirme Kanga Roger. Les câbles sous-marins comme les gazoducs peuvent être sujets à des sabotages d’origine terroriste dans le cadre d’un conflit impliquant différentes parties (exemple, guerre Russie-Ukraine). Tout compte fait, dans la réflexion portant sur les solutions, l’ingénieur télécoms admet qu’il n’existe pas « de solutions miracles qui viendraient à garantir la disponibilité de l’internet aux populations en cas d’incidents ».
La solution du réseau hybride : câbles-satellites
L’ingénieur télécoms propose, en revanche, la promotion « d’une coopération entre les opérateurs locaux et internationaux pour la mise en place de fibres terrestres plus conséquentes, capables d’assurer les résiliences du réseau internet via la fibre optique. » Il propose aussi que « les opérateurs télécoms mutualisent leurs capacités pour accélérer le processus de rétablissement en cas de panne ». Ils pourraient, également, enfin, explorer la possibilité de la connectivité internet via le satellite. Mais, redoute-t-il, le problème de capacité va se poser avec cette technologie.
Sur cette technologie, Ange Kacou Diagou, PDG de New Digital Africa, a un point de vue différent. « Aujourd’hui, avec la révolution satellitaire LEO, des technologies existent qui, en termes de vitesse, rivalisent avec la fibre optique », dit-il avec conviction. Sauf que, pour ne pas mettre tous ses œufs dans le même plat, il suggère un réseau hybride : câbles sous-marins et satellite. « C’est très rare d’avoir des coupures sur le satellite, il n’y a pas d’intermédiaire entre les points d’interconnexion. Contrairement aux câbles sous-marins où il y a d’abord l’infrastructure des câbles soumise aux phénomènes naturels en mer, jusqu’aux portes d’entrée des pays. Ensuite, l’infrastructure terrestre dans le pays jusque chez l’utilisateur », tranche-t-il.
Comment construire un réseau hybride ?
Plusieurs entreprises en Côte d’Ivoire exploitent déjà le réseau. Elles utilisent la technologie SD WAN, une technologie innovante de connectivité internet professionnelle permettant de construire un réseau virtuel prenant appui sur un réseau physique et de le piloter depuis un point central. Elle permet à l’entreprise de plus être captive de son opérateur historique. Ce qui fait jouer la concurrence pour optimiser ses coûts par la possibilité d’utiliser plusieurs liaisons pour potentialiser les débits.
Enfin, la technologie SD WAN est une solution adaptée aux nouvelles approches de l’informatique, avec l’externalisation des applications et aux nouvelles contraintes, comme la souscription de services logiciels hors du contrôle des services informatiques, ce qu’on appelle Shadow IT. Les applications ont donc quitté le siège des entreprises pour migrer dans des Data Center. Ces centres de données regroupent des ressources informatiques (serveurs). Les applications sont ainsi accessibles directement depuis n’importe quelle connexion Internet.
K. Bruno
Sommaire de notre Dossier spécial
1-Retour sur le jeudi noir en Côte d’Ivoire