Le Ministère de la Santé, de l’Hygiène publique et de la Couverture maladie universelle en Côte d’Ivoire est dans une dynamique de digitalisation de services de santé offerts aux populations ivoiriennes. Dr. Pongathié Adama Sanogo, directeur de l’information sanitaire au Ministère de la Santé, de l’Hygiène publique et de la Couverture maladie universelle, livre, dans cette interview exclusive, les grands angles cette transformation digitale.
Quel est l’état des lieux de la transformation digitale dans le secteur de la santé ?
L’état des lieux montrent des projets à réaliser et des investissements à faire. Dans cette perspective, nous avons élaboré des documents de politique et des stratégies pour mettre le digital au service des populations et des prestataires de santé. L’état des lieux nous a permis d’avoir une vue globale des chantiers à réaliser pour atteindre la digitalisation complète des services de santé.
Quels sont ces chantiers ?
Au niveau des prestataires et de l’offre de soins, nous avons ce qu’on appelle « Le dossier patient informatisé ». Ce dossier permet aux usagers d’avoir un carnet de santé électronique. Il contient les informations sur le patient. Ainsi, le prestataire n’aura pas à reprendre, à chaque fois, les mêmes informations comme, par exemple, le nom et le sexe du patient. Au final, le dossier patient papier qu’on a l’habitude de voir avec un prestataire qui remplit beaucoup de paperasse est remplacé par un dossier électronique. Nous avons aussi le système d’information hospitalier qui permet de relier plusieurs services, d’améliorer l’offre de soins, d’avoir une bonne gestion de la file d’attente et une prise en charge coordonnée des usagers.
Il y a également le projet de traçabilité des produits sanguins qui permet d’éviter les déperditions des produits sanguins, et le projet de distribution des produits à partir des drones. Nous allons vers des processus d’objets connectés pour la santé, de télémédecine, de paiement des actes de santé par mobile money ou carte rechargeable. Nous avons, ensuite, le projet de carte des structures sanitaires afin de permettre aux usagers de prendre des rendez-vous en ligne, mais aussi de connaitre les centres de santé et pharmacies les plus proches de leurs zones, ainsi que le trajet pour y accéder.
Quels avantages les usagers tirent-ils de ce processus de digitalisation ?
L’un des avantages forts, pour moi, c’est la digitalisation des moyens de paiement des actes de santé. Vous savez qu’il faut avoir de la liquidité pour aller à l’hôpital. C’était l’un des obstacles à l’accès aux services de santé. Désormais, avec le processus de digitalisation que nous sommes en train de mettre en place, non seulement, vous avez un carnet de santé électronique, mais aussi, en cas de besoin, vous pouvez payer par mobile money, à partir de votre téléphone.
Quels sont les défis à relever dans la transformation digitale du secteur de la santé ?
On a le grand défi de la maturité des infrastructures. Vous savez nos des structures sanitaires ont été, pour beaucoup d’entre elles, construites à l’époque coloniale. Elles ne répondent pas forcément aux normes lorsque vous voulez déployer des réseaux ou faire des interconnexions. Il y a aussi le défi énergétique pour supporter les installations et le matériel informatique. Au niveau des ressources humaines, nous avons des prestataires qui, tout au long de leur cursus universitaire, ne sont pas forcément accompagnés par des outils digitaux. Pour eux, l’utilisation de ces outils pose souvent quelques difficultés, et il faut donc les mettre à niveau.
Vous savez, par ailleurs, que le digital implique une technologie très évolutive qui coûte cher. Ce n’est pas évident pour des structures étatiques aux budgets très serrés de les acquérir. En Côte d’Ivoire, nous avons 6000 structures sanitaires dont 3000 à 3500 sont du public. Acquérir du matériel pour toutes ces structures nécessite des financements, tout comme quand nous devez équiper 30000 agents en matériel informatique. Et ces ressources ne sont pas toujours disponibles. Donc, nous avons un grand défi en termes de ressources financières. Mais, nous pensons que ce ne sont pas des défis insurmontables.
Quelles sont alors les perspectives ?
Les perspectives sont traduites dans le document de politique et la stratégie de digitalisation du secteur de la santé que nous avons élaborés, en 2016 pour mettre en place l’informatisation du système de santé. La plus importante, c’est la réforme d’ordre infrastructurelle. L’autre perspective, c’est la protection des données à caractère personnel. Nous avons tous été témoins de certaines situations où les gens, plutôt que d’apporter du secours à un individu en besoin de santé, filment la scène et la publient sur internet. Donc, nous mettons un point d’honneur à protéger les données des patients pour éviter qu’elles ne se retrouvent dans le domaine public. Tout compte fait, nous voulons nous assurer que notre système de santé est suffisamment robuste pour résister à toutes les attaques. Enfin, dernière perspective, mettre en place, pour le ministère de la santé, un data center capable de gérer toute la masse de données. Si vous allez dans un centre de santé et qu’il n’y a pas de connexion, cela devient difficile d’offrir un service digitalisé à la population.
En somme, pour la digitalisation du secteur de la santé, nous avons décidé de commencer par les hôpitaux de référence, c’est-à-dire les centres hospitaliers régionaux, qui sont au nombre de 20. Ensuite, les hôpitaux généraux qui sont au nombre de 113. Et enfin, nous allons passer aux centres de santé urbains pour l’étendre progressivement vers les centres de santé dans des zones plus reculées où les défis de connectivité internet et des ressources énergétiques vont se poser. Dans tous les cas, nous devons nous donner les moyens de les surmonter.
Interview réalisée par
K. Bruno